Jadis, les contes et légendes furent d’abord racontés par nos troubadours moyenâgeux. Tristan et Iseut la Blonde en constitue l’un des exemples les plus illustres. Puis ce fut au tour des familles de relater aux enfants, lors de veillées au coin de l’âtre, ces mythes splendides. Quel que soit le coin du globe, ces récits appartiennent à la mémoire collective et illustrent notre patrimoine commun qu’il convient de conserver avec le plus grand soin. Chacun d’entre eux renferme à sa manière une leçon de vie, un peu comme les Fables de notre regretté Jean de la Fontaine. Le besoin de transmission dans le monde s’effiloche, mais le besoin épris de rêves et de merveilleux demeure. A ce titre, Melting-Actu vous propose, à l’approche des fêtes et sous la forme d’une thématique « Contes et légendes du monde entier »*, de régulièrement vous en faire découvrir, pour le plaisir des petits et des grands. Effet garanti, avec pour commencer une histoire du Maroc !
Les femmes sont-elles plus sournoises et rusées que les hommes ?? Durant toute sa jeunesse, Brahim avait entendu parler à de multiples reprises des fourberies féminines sans jamais en être directement touché.
A l'âge de vingt ans, il envisagea d'écrire un livre sur ce thème. Mais pour y parvenir, il lui fallut évidemment se documenter et opérer moultes recherches. La bibliothèque du village était petite mais malgré tout bien achalandée en livres. Le responsable de cet édifice, à la demande de Brahim, lui trouva après multiples tâtonnements un très précieux manuscrit datant du seizième siècle, Le Livre des Ruses, un ouvrage traitant de la stratégie politique des Arabes. "C'est tout ce que je possède », répondait-il penaud, « mais à mon humble avis, les tromperies masculines ne sont pas si différentes de celles des femmes".
Brahim prit quelques notes et poursuivit son enquête dans d'autres contrées. Après avoir chaleureusement embrassé sa famille, il partit en direction de l'Ouest, sans préciser les raisons de son départ si ce n'est qu'il souhaitait se familiariser davantage avec son pays. Paré de provisions et d'argent dissimulé dans un burnous, il voguait d'une ville à l'autre. Il questionnait la population et se rendit dans toutes les bibliothèques, n'en repartit que très tard après avoir noté toutes informations pertinentes sur les ruses féminines.
Il écoutait la gente masculine dans les cafés, en sirotant tranquillement un thé à la menthe, lui parler de toutes les escobarderies commises par leurs épouses respectives et lui expliquer comment ces hommes ont réussi à brillamment les déjouer. Evidemment Brahim ne perdait pas une seule miette de ces précieux témoignages et notait tout dans ses carnets pour préserver sa mémoire.
Deux ans plus tard, il avait engrangé suffisamment d'informations et pu donc retourner au bercail. Il arriva dans une grande ville dynamique et animée, en pleine effervescence. Il se mêla aux souks et s'y rassasia. Puis il se mit en quête d'un fondouk. Au bout de la rue, une jeune femme adossée à sa fenêtre l’appela:
- "Je dispose d'une grande quantité de vêtements à vendre", lui dit-elle.
- "Mais je ne suis pas chiffonnier", répondit Brahim.
- " Pardon, je t'ai confondu avec celui qui passe chaque semaine, s'excusa-t-elle. Mais alors, quelle profession exerces-tu ??
- " Je suis sans profession pour le moment. Je voyage actuellement et j'enquête dans le but de rédiger un livre sur les ruses féminines afin de conseiller les futurs jeunes mariés."
-" Tiens, serais-tu capable de contrecarrer toutes les tartufferies féminines ??"
- " Oui, à présent, je le suis."
- " Projettes-tu de te marier ??"
- " Dès que j'aurai rencontré mon âme sœur."
- " Voudrais-tu m'épouser ??"
- " Ma chère, tu es si belle, qu'il me serait cruel de refuser ta demande."
- " Mon père fait volontairement fuir tous mes prétendants. Il s'efforce de leur donner une mauvaise image de moi. Il leur raconte à tort que je suis sourde et muette."
- "Mais dans ce cas, si ton père refuse de te marier, comment pourrais-je devenir ton mari ?"
- "Rencontre-le ! Rends-toi dans sa bijouterie et dis-lui que tu souhaites me prendre pour femme, et surtout précise-lui que tu m'épouseras malgré cette infirmité. Quoiqu'il arrive, maintiens ta demande, de toutes les façons tu ne crains rien puisque tout cela est faux. Tu m'as déjà vue et ses propos infirment donc les faits. "
- " Où est-il ??"
- " Au centre ville de Bab Jedid."
Brahim partit sans perdre une seconde et retrouva le fameux papa de la jeune fille.
-" As salam ou alikoum**, dit-il en pénétrant dans la bijouterie.
- " Alikoum salam, répondit le père. En quoi puis-je vous être utile ??
- " Je souhaite épouser votre fille...
- " Malheureusement ma fille est handicapée, je le regrette"
- " Ce n'est pas bien grave, je l'aime telle qu'elle est. Je la désire à tout prix."
- "Mais elle est sourde et qui plus est muette !!!"
- " Je la veux quand même." rétorqua Brahim
Au final les deux hommes trouvèrent un accord, puis définirent le montant de la dot et les termes du contrat. Le mariage eut lieu plusieurs semaines plus tard, la femme était voilée toute la journée. Lorsqu'il se retrouva seul avec sa dulcinée, il découvrit que sa bien aimée était en réalité bel et bien sourde et muette et qu'il n'avait donc pas épousé la jolie jeune femme rencontrée jadis. Scandalisé et froissé, il prit la fuite et vagabonda dans les rues sans se nourrir durant deux jours et deux nuits. Dès lors qu'il retrouva la raison, il alla demander des comptes à celle qui s’était dérobée sous l'identité de la fille du bijoutier.
- " Pourquoi as-tu voulu m'épouser dans le seul but de me tromper ?"
- " Tu m'alléguais que tu savais déjouer toutes les sournoiseries féminines, lui répliqua-t-elle en souriant, j'ai voulu te prouver que tu faisais fausse route."
- " Procure-toi un vieux tambourin et un âne famélique. Après avoir obligé ta femme à porter des haillons, tu la fais monter sur l'âne et tu la promènes dans la rue où se trouve la bijouterie de son père, tout en tambourinant et mendiant.
- " C'est impossible, je ne peux pas ! S’écria Brahim, courroucé".
- " Suis mes recommandations si tu veux te séparer de ta femme et t'en débarrasser définitivement. Dès que ton beau-père t'apercevra en train de mendigoter, il réagira et tout s'arrangera."
Brahim n'eut malheureusement pas le choix et suivit les conseils de la jeune fille. Evidemment, le beau-père, furieux de constater que son gendre quémande avec sa fille, rencontra Brahim le soir même.
- " Je suis un commerçant connu et notable dans ma ville. Tu ne peux pas demander la charité et déshonorer ainsi ma famille. J'exige que tu divorces immédiatement. " Fort de ses droits, Brahim fit mine de refuser.
-" En quoi est-ce si mal de faire l'aumône ?? "
- "Mais tu ne m'avais pas informé que tu mendiais."
- "Mais à part cela, que puis-je faire avec une infirme ??" Tu devrais t'en douter ! "
- " Quelle erreur ai-je bien pu commettre !!! Jamais je n'aurais du donner ma fille à n'importe quel inconnu ! se lamenta le père
- " C'est désormais mon épouse et j'ai le droit d'en faire ce que bon me semble."
- " Divorce donc ! "
- " Mais j'ai investi toutes mes économies dans ces noces ! "
- " Je te rembourserai tout s'il le faut !"
- " Je ne me contenterai pas de cette réponse."
Le bijoutier lui remboursera une somme bien plus importante que la dot pour récupérer sa fille. Le Cadi prononça la séparation officielle le lendemain et Brahim quitta la ville au plus vite. Il retrouva ses proches soulagés de le revoir en pleine santé après tant d'absence. C'est en lisant le livre de Brahim qu'ils comprirent les raisons de son voyage. Dans le dernier chapitre, il raconte son aventure en affirmant haut et fort qu'aucun homme n'est aujourd'hui capable d'empêcher toutes les feintes féminines.
*Ouvrage de référence : 1OO contes du monde entier, de Charlotte Gastaut
Sandra WAGNER