Cette année, la cité des Papes fait honneur aux femmes et à leurs combats à travers la programmation du festival off. De nombreux spectacles évoquent de grandes et fortes figures féminines (louise Michel, Camille Claudel, Georges Sand…), tandis que d’autres abordent des sujets graves (prostitution, pédophilie, inégalités hommes-femmes…).
Complet chaque soir durant festival, le spectacle Les Chatouilles ou la Danse de la colère (mis en scène par Éric Métayer), créé en 2014 au théâtre du Chêne noir avait reçu de multiples prix (prix d’interprétation du off, Molière du seule en scène…). Andréa Bescond, l’interprète initiale, a transmis le rôle à Déborah Moreau. L’histoire d’Odette, violée durant son enfance par un ami de la famille, nous est dévoilée. Comment vivre, survivre avec cette blessure béante enfouie pendant des années ? Comment se reconstruire, colmater les brèches ? Comment faire accepter aux autres cette souffrance, ce crime que l’on ne veut plus taire ? C’est à une réelle performance physique, dansée et jouée, que nous assistons ; où la comédienne endosse tous les rôles : le violeur, la psy, la mère, l’enfant, l’adulte, Manu l’ami de toujours… Nous partageons la douleur, le déchirement et la volonté de vivre d’Odette sauvée par la danse et la rage.
La pièce Les filles aux mains jaunes de Michel Bellier (Lansman éditeur) et mis en scène avec justesse par Johanna Boyé, aborde le travail des femmes au cours de la première guerre mondiale. Julie, Rose, Jeanne et Louise travaillent dans une usine d’armement. Contraintes de gagner leur vie et de remplacer les hommes, elles subissent l’injustice de ne pas être payées comme eux. Elles sont exposées à des substances dangereuses sans information, sans aucune protection. Le personnage de Louise, journaliste militante chez les suffragistes, va permettre aux autres ouvrières de prendre conscience des inégalités dont elles sont victimes. La résignation et l’impuissance vont s’estomper. Le courage, la solidarité et le combat vont émerger. La naissance du féminisme est ainsi abordée et résonne avec l’actualité. Les comédiennes sont toutes formidables. Le travail de mise en scène est remarquable notamment le jeu avec le dispositif scénique (la structure verticale représentant les postes de travail) ainsi que la chorégraphie des femmes au travail.
Du côté du théâtre des Halles, Charles Berling présente sa dernière mise en scène : Vivre sa vie. Il ne s’agit pas seulement d’une adaptation du film de Godard mais plutôt d’un dialogue artistique avec celui-ci et avec des auteures (Despentes, Duras…). Nana quitte Paul et son enfant pour vivre sa vie. De petits boulots en espoirs déçus, elle se retrouve rapidement à la rue, contrainte de travailler pour un proxénète. La scène est scindée en deux parties. La violence de la prostitution apparaît en ombres chinoises derrière un dispositif translucide qui sert aussi d’écran pour projeter des extraits du film ou l’image des comédiens filmés en plongés. Les hommes deviennent femmes et les femmes se font hommes, brouillage des genres très sensuel et d’autant plus étonnant lorsque Grégoire Léauté, Guitariste et interprète de la bande son en direct, se prête lui aussi au jeu ! Ce petit monde interlope et attachant se met à nu devant les spectateurs de façon très émouvante.
A travers ces trois pièces particulièrement profondes, l’envie de parcourir les fondements du féminisme jusqu’au monde d’aujourd’hui, a émergé pour faire sentir combien cet enjeux reste malheureusement encore non acquis et pleinement d’actualité dans notre monde contemporain.